Lors de l’IAA Mobility 2025 à Munich, Jean-Philippe Imparato, patron de Stellantis pour l’Europe, a sonné l’alarme : les objectifs de l’Union européenne fixés pour 2030 et 2035 dans le secteur automobile risquent de se révéler inatteignables sans un renouvellement massif du parc et des stratégies plus souples. Ces déclarations font écho à un malaise croissant au sein des constructeurs européens, coincés entre des normes environnementales toujours plus strictes et une demande de véhicules électriques encore insuffisante pour compenser l’effondrement des motorisations thermiques.
L’alerte lancée à Munich
Interrogé sur la faisabilité des objectifs de réduction de 55 % des émissions de CO₂ des voitures neuves d’ici 2030, puis de 100 % à l’horizon 2035, Imparato a souligné que la simple promotion des modèles électriques sur le marché des véhicules neufs ne suffirait pas à atteindre ces cibles. Selon lui, « sans un plan de renouvellement du parc automobile existant et des mesures plus flexibles, nous risquons de voir les constructeurs européens mis en grande difficulté, voire contraints à réduire leur offre ». Son appel vise directement la Commission européenne et les États membres : il faut agir rapidement, idéalement avant la fin de l’année, pour éviter un scénario dramatique pour l’industrie et pour l’emploi.
Un parc automobile à renouveler d’urgence
Le cœur du problème réside dans l’âge moyen du parc circulant en Europe : sur 256 millions de véhicules, près de 150 millions ont plus de dix ans. Ces voitures, majoritairement équipées de motorisations diesel ou essence de génération antérieure, émettent beaucoup plus de CO₂ qu’un véhicule neuf, même s’il n’est pas 100 % électrique. Or, se concentrer uniquement sur les ventes de voitures électriques à batterie ne modifie pas la réalité du parc : la transition serait trop lente pour répondre aux échéances légales.
- Plus de 58 % du parc a plus de dix ans.
- Les véhicules anciens garantissent 2 à 3 fois plus d’émissions qu’un véhicule neuf selon les tests WLTP.
- Sans mécanisme de prime à la casse ou de conversion adapté, le renouvellement naturel du parc prendrait plusieurs décennies.
Imparato recommande donc de mettre en place des incitations financières substantielles pour encourager les ménages et les entreprises à remplacer leurs anciens véhicules, tout en soutenant les flottes de véhicules utilitaires.
Le casse-tête des véhicules utilitaires légers
Autre secteur pointé du doigt : les véhicules utilitaires légers (VUL). Jugés “letaux” pour le modèle économique B2B, les nouvelles normes européennes risquent de fragiliser la logistique du dernier kilomètre et les PME de transport. Ces petits camions et fourgons, indispensables à la livraison urbaine et aux artisans, peinent à basculer vers l’électrique :
- Coûts d’achat et de recharge encore trop élevés pour de nombreux professionnels.
- Infrastructure de bornes de recharge inadaptée aux usages intensifs des VUL.
- Capacité de charge utile réduite par la masse des batteries.
Imparato évoque la nécessité d’ajuster les calendriers d’application des normes pour laisser aux constructeurs et aux entreprises le temps de s’adapter sans mettre en péril la compétitivité du secteur.
Objectifs versus réalité du marché
La demande de véhicules électriques ne cesse de croître, mais reste insuffisante pour compenser la chute des ventes de thermiques. Les experts alertent :
- Une adoption trop lente par certaines populations moins solvables.
- Un réseau de recharge encore inégalement réparti en Europe.
- Une offre de modèles électriques premium moins accessible au grand public.
Sans incitations ciblées et renouvellement accéléré du parc, l’industrie risque de connaître une période de stagnation, avec des conséquences non négligeables sur l’emploi dans les usines et les réseaux de distribution.
Des pistes de solution proposées par Stellantis
Pour faire bouger les lignes, Stellantis a transmis plusieurs propositions à Bruxelles et à ses partenaires industriels :
- Instaurer un bonus écologique modulé en fonction de l’âge et du type de véhicule à remplacer.
- Accélérer la mise en place de zones à faibles émissions, tout en finançant l’installation de points de recharge sur les axes régionaux.
- Assouplir le calendrier des normes pour les VUL, avec des objectifs de CO₂ spécifiques au segment.
- Soutenir la conversion des flottes professionnelles grâce à des aides à l’investissement et à la formation.
Ces mesures visent à concilier les impératifs de décarbonation avec la réalité économique des automobilistes et des entreprises.
Optimisme ou pessimisme : quelles perspectives ?
Tandis que certains acteurs du secteur craignent le pire, d’autres gardent espoir. Les progrès technologiques et la baisse rapide des coûts des batteries rendent l’électrique plus accessible. Voici quelques tendances encourageantes :
- Une diminution de 30 % du prix moyen des packs batteries en 3 ans.
- Une autonomie moyenne des VE dépassant désormais 500 km sur autoroute.
- Un développement rapide des solutions de recharge ultra-rapide et bidirectionnelle (V2G).
Selon cette école de pensée, la transition écologique pourrait s’accélérer naturellement, à condition d’harmoniser les politiques nationales et européennes et de maintenir les financements dans la mobilité durable.
Le défi du compromis : environnement, compétitivité et emplois
La véritable équation à résoudre reste celle de l’équilibre entre objectifs environnementaux, compétitivité industrielle et préservation de l’emploi. Les décisions prises dans les prochains mois détermineront si l’Europe saura conserver sa place de leader automobile tout en respectant ses engagements climatiques. Le dialogue entre institutions, constructeurs, fournisseurs et représentants du monde du travail s’annonce plus crucial que jamais.