Une crise des semi-conducteurs qui rebattit les cartes de l’électrique
Le monde de l’automobile traverse un tournant sans précédent : la pénurie mondiale de semi-conducteurs, renforcée par la recrudescence des droits de douane et la volatilité géopolitique, bouleverse les calendriers de production et les ambitions d’électrification des constructeurs. Toyota, géant japonais habitué à la prudence, se trouve au cœur de cette tempête et revoit ses objectifs BEV (Battery Electric Vehicle) à la baisse.
Toyota contraint de réviser à la baisse ses prévisions EV
Dans un communiqué daté du 11 novembre 2025, Toyota a annoncé réduire de 10 % son estimation de ventes de véhicules 100 % électriques pour l’année fiscale en cours. Le constructeur avaient initialement visé 277 000 unités, chiffre désormais porté à environ 250 000 voitures. Cette décision inédite traduit l’impact brutal de la carence en puces électroniques, indispensables au fonctionnement des calculateurs de bord et des systèmes d’assistance avancée.
Report du méga-site de batteries de Fukuoka
Autre conséquence majeure : le projet d’usine de production de batteries dans la préfecture de Fukuoka, programmé pour 2028, est reporté à date indéterminée. Essentiel pour sécuriser l’approvisionnement interne, ce site devait garantir à Toyota une autonomie stratégique sur le marché des cellules lithium-ion. Le report de cette installation souligne l’incertitude qui pèse sur les filières d’approvisionnement et sur les investissements de longue haleine.
Effets en chaîne chez Nissan et BMW
- Nissan a réduit la cadence de fabrication de plusieurs de ses SUV. La pénurie de puces, notamment celles fournies par Nexperia, est exacerbée par la dépendance de ce dernier à ses lignes de production chinoises, exposées aux tensions commerciales.
- BMW, de son côté, signale un resserrement de ses marges opérationnelles en Europe. L’intensification de la concurrence, couplée aux barrières commerciales, pèse sur les coûts de composants et de logistique.
Ces stratagèmes de production sont symptomatiques d’une crise de l’offre synchronisée à un ralentissement de la demande, en raison de la hausse des coûts pour le consommateur final.
Pragmatisme : le Full Hybrid comme “plan B”
Plutôt que de geler définitivement son virage vers l’électrique, Toyota mise sur son expertise en hybride complet. À court terme, la firme priorisera le lancement de nouveaux modèles hybrides Full Hybrid, considérés comme un compromis fiable face aux chausse-trappes de la chaîne d’approvisionnement. Cette stratégie permettra de maintenir une croissance régulière sans exposer la marque à la volatilité des composants 100 % électriques.
Pour les BEV purs, le constructeur japonisera initialement la diffusion via sa division premium Lexus, à partir de 2027. Ce déploiement “haut de gamme” servira de terrain d’expérimentation avant une montée en puissance progressive du segment électrique sur la marque Toyota.
Le nœud gordien : diversifier et intégrer
Face à cette tourmente, plusieurs leviers doivent être actionnés :
- Diversification des fournisseurs : multiplier les partenariats pour réduire la dépendance à un seul acteur ou à une région géographique.
- Intégration verticale : internaliser la production de puces et de cellules, depuis la R&D jusqu’à la fabrication, pour sécuriser les flux.
- Constitution de stocks stratégiques : anticiper les ruptures en stockant des volumes critiques de composants clés.
- Négociations internationales : œuvrer avec les gouvernements pour atténuer l’impact des droits de douane et harmoniser les normes.
Conséquences pour le consommateur et les marchés
Pour l’automobiliste, la crise se traduira par :
- Temps d’attente plus longs avant livraison des véhicules neufs, en particulier pour les BEV.
- Hausse de prix notamment sur les modèles les plus technologiques, afin d’absorber les surcoûts de composants.
- Incitation au choix de l’hybride, jugé plus “sûr” et moins sujet aux ruptures de stock.
Du côté des marchés financiers, les investisseurs scrutent la capacité des grands groupes à réviser leurs plans industriels sans perdre de vue la transition écologique. La flexibilité stratégique et la réactivité aux aléas de la chaîne logistique deviennent désormais des critères clés pour évaluer la solidité des constructeurs.
Les gouvernements à la manœuvre
Conscients des enjeux, plusieurs États planchent sur des incitations pour relocaliser la production de semi-conducteurs et soutenir les filières locales. Des subventions, des allègements fiscaux et des partenariats public-privé sont à l’étude afin d’encourager la création d’usines en Europe et en Amérique du Nord. Ces mesures visent à réduire la dépendance envers les zones de production actuellement fragiles et à sécuriser l’approvisionnement pour la mobilité de demain.


