Alors que l’industrie automobile file à toute allure vers l’électrification, Lamborghini trace un chemin alternatif pour préserver le rugissement de ses moteurs thermiques : l’e-fuel. Cette filière de carburants synthétiques, jugée par le constructeur de Sant’Agata “le possible sauveur du moteur à combustion”, suscite un regain d’intérêt au moment même où l’échéance européenne de 2035 menace les motorisations traditionnelles.

Le V8 biturbo de la Temerario déjà calibré pour l’e-fuel

La star de cette stratégie est le tout nouveau bloc V8 biturbo de 4,0 litres qui équipe la Lamborghini Temerario. Conçu dès l’origine pour fonctionner indifféremment à la fois avec de l’essence traditionnelle et avec des e-fuel, ce moteur illustre la vision technique de Rouven Mohr, Chief Technical Officer de Lamborghini. Grâce à un mapping électronique flexible et à des matériaux compatibles avec la variation des indices d’octane, ce V8 promet de conserver ses performances — 700 ch et un couple de plus de 850 Nm — tout en réduisant significativement son empreinte carbone lorsqu’il est alimenté en carburant synthétique.

Principe de production et neutralité carbone

Les e-fuel naissent de la combinaison d’hydrogène “vert” et de dioxyde de carbone capté dans l’atmosphère. Le procédé se décompose en trois étapes :

  • Électrolyse de l’eau à partir d’énergies renouvelables (éolien, solaire) pour obtenir de l’hydrogène.
  • Capture et purification du CO₂ atmosphérique ou industriel.
  • Synthèse chimique (Fischer-Tropsch ou méthanol) pour formuler un carburant liquide compatible avec les moteurs thermiques.

Le résultat est un combustible dont le bilan CO₂ peut être quasi neutre : le dioxyde de carbone émis lors de la combustion est théoriquement égal à celui initialement capté pour sa fabrication.

Un soutien industriel du Volkswagen Group

En tant que membre du Volkswagen Group, Lamborghini bénéficie d’une recherche concertée sur les e-fuel. Porsche, par exemple, exploite depuis 2022 une unité de production industrielle en plein désert d’Atacama (Chili), tirant parti de l’énergie éolienne pour alimenter son électrolyseur. L’objectif est de démontrer la faisabilité à l’échelle pilote :

  • Production actuelle : plusieurs milliers de litres par an, avec des tests clients sur circuits fermés.
  • Coût historiquement élevé : environ 10 € le litre en phase de pré-série.
  • Plan de montée en cadence : viser une réduction des coûts de 30 à 50 % à l’horizon 2027.

Ce savoir-faire profite directement aux ingénieurs de Sant’Agata, qui intègrent les spécifications d’e-fuel dans leurs bancs d’essai et leurs simulations thermodynamiques.

Enjeux logistiques et réseau de distribution

Malgré ses promesses, l’e-fuel reste confronté à deux principaux verrous :

  • Le maillage de stations-service : aujourd’hui quasi inexistant en Europe, il impose une logistique d’approvisionnement spécifique pour les premiers clients Lamborghini.
  • Le volume de production : insuffisant pour répondre à un usage grand public, réservant l’e-fuel à une clientèle de niche — plus sensible au coût du carburant que pour un automobiliste lambda.

En Occitanie, où j’arpente régulièrement les routes entre Toulouse et les Pyrénées, aucune pompe ne propose encore ce type de carburant. Mais des projets de stations pilotes émergent en Allemagne, aux Pays Bas et en Scandinavie, posant les premiers jalons d’une future chaîne d’approvisionnement.

Coût versus passion : le dilemme des supercars

Pour le grand public, un carburant à plus de 8 € le litre semble hérétique. Mais dans l’univers des supercars Lamborghini, les chiffres prennent une autre dimension :

  • Coût marginal : le surcoût carburant représente moins de 1 % du prix d’achat d’une Temerario.
  • Valeur émotionnelle : conserver l’authenticité du V8, son acoustique et sa montée en régime, reste le critère numéro 1 pour les clients du Toro.
  • Image de marque : être pionnier des carburants à faible empreinte carbone renforce la légitimité de Lamborghini dans la transition énergétique.

Perspectives réglementaires jusqu’en 2035 et au-delà

L’Union européenne maintient son objectif d’interdire la vente de voitures à carburants fossiles neufs dès 2035. Toutefois, les dernières consultations laissent entrevoir une dérogation pour les véhicules fonctionnant exclusivement à l’e-fuel, jugés « à émissions équivalentes ou inférieures » aux hybrides rechargeables. Cette ouverture permettrait à Lamborghini de commercialiser des modèles thermiques à taux d’émission ultra-faible, tout en respectant la législation.

Entre passion et pragmatisme, le pari de Lamborghini

En misant sur l’e-fuel, Lamborghini réconcilie deux passions : l’adrénaline du moteur à combustion et la responsabilité environnementale. À l’aube de l’électrification globale, cette trajectoire alternative mérite toute notre attention — d’autant plus lorsque l’on sait que le cœur d’un moteur V8 bien réglé peut encore faire vibrer les coeurs les plus exigeants.

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