La livraison des deux premiers MAN eTGX à Koinè pour la logistique du groupe Sanpellegrino marque une étape tangible dans la conversion du transport lourd vers l’électrique, et pas seulement en vitrine. Ici, on ne parle pas d’un essai ponctuel : c’est la mise en place d’un écosystème – véhicules, énergie produite sur site et services associés – qui vise à démontrer la faisabilité opérationnelle et économique de la décarbonation de la chaîne logistique.
Un contexte industriel clair : l’électrification articulée
Le projet repose sur trois piliers complémentaires. D’abord, le matériel : les eTGX livrés sont des tracteurs 4×2 dotés d’un moteur MAN eCD400 de 400 kW, offrant 1 250 Nm de couple et alimentés par six modules batterie pour une capacité lorde de 534 kWh. Ensuite, l’énergie : Koinè installe des panneaux photovoltaïques dans ses dépôts, avec une production annoncée pouvant atteindre 5 MW sur le site de Levate, pour alimenter directement les camions. Enfin, les services : contrat de maintenance, extension de garantie sur cinq ans et solutions digitales MAN pour le monitoring et l’optimisation de la flotte.
Cette articulation est essentielle. L’un des principaux verrous à l’électrification du poids lourd n’est pas seulement la motorisation électrique, mais la disponibilité d’une énergie fiable, la planification des cycles de charge et la gestion de la flotte en régime opérationnel. En produisant une part significative de l’énergie sur site, Koinè réduit sa dépendance au réseau et maîtrise en partie le coût et l’empreinte carbone de la recharge.
Performances techniques : ce que permettent les eTGX
Sur le papier, le MAN eTGX 20.544 4×2 LL SA EB est un tracteur sérieux : 400 kW, 1 250 Nm et 534 kWh donnent une capacité opérationnelle tout à fait adaptée au transport régional et national, en particulier sur des missions répétitives comme celles entre sites industriels et dépôts. Les 250 000 kilomètres annuels prévus sur les liaisons Sanpellegrino–Madone et Levate sont un bon terrain d’évaluation pour la viabilité réelle de ce matériel dans un usage intensif.
L’intégration des systèmes d’assistance de la cabine GX et des services digitaux permettra un suivi précis des consommations, des cycles de charge/décharge et de l’usure des composants. Ces données seront précieuses pour affiner les pratiques de recharge, déterminer le profil d’utilisation optimal et valider les hypothèses économiques du projet (TCO, coût par kilomètre, gains CO₂).
Autonomie énergétique et stratégie « autonome » de Koinè
Paolo Toccafondi, l’un des dirigeants, a résumé le défi : infrastructures publiques limitées et incitations parfois insuffisantes poussent les acteurs à construire leur propre modèle. Le plan de Koinè est donc de créer une boucle énergétique locale : production PV → stockage/usage direct → recharge des camions. À ce stade, la production annoncée de 5 MW sur le site de Levate change la donne, car elle peut alimenter une flotte significative sans recourir exclusivement au réseau électrique, notamment aux heures de pointe où la tarification et l’empreinte carbone sont moins favorables.
Il s’agit là d’un vrai argument pour l’électrification : maîtriser le vecteur énergétique permet de sécuriser les coûts opérationnels et de rendre l’empreinte carbone calculable et réduite. Le modèle peut ensuite être dupliqué auprès d’autres sites et autres donneurs d’ordre.
Du pilote au plan industriel : jusqu’à 50 camions électriques
La dimension la plus ambitieuse du projet est le plan pluriannuel qui vise l’intégration jusqu’à 50 eTGX dans la flotte. Dans une optique industrielle, démarrer par deux unités et mesurer est la bonne méthode : elle permet d’identifier les points d’amélioration (gestion de la charge, protocoles de maintenance, comportement en condition hivernale, etc.) avant de monter en cadence. Le contrat inclut d’ailleurs des services de maintenance et des digital services MAN, signe que l’industriel anticipe et sécurise la poursuite de la transition.
Avantages pour la chaîne : impact opérationnel et environnemental
Pour le donneur d’ordre, ici Nestlé Waters / Sanpellegrino, l’intérêt est double. D’une part, la réduction des émissions directes liées au transport, ce qui entre dans des objectifs de décarbonation globaux et peut se traduire par des gains d’image non négligeables. D’autre part, une potentielle optimisation des coûts sur le long terme : prix de l’électricité issu du solaire souvent inférieur au diesel, moindre maintenance liée aux groupes motopropulseurs électriques et bénéfices en terme d’efficacité énergétique sur des itinéraires réguliers.
Les bénéfices se mesurent aussi en terme d’image et de responsabilité : pour des marques alimentaires sensibles à l’opinion publique, montrer une logistique bas carbone devient un levier stratégique.
Verrous et points à surveiller
Cependant, plusieurs points méritent vigilance :
De plus, la question du maillage public de bornes reste centrale si l’on envisage des trajets plus longs ou une mutualisation de flottes entre transporteurs.
Un modèle potentiellement reproductible en Europe
Si le test de Koinè s’avère concluant, le modèle ‘production PV + parc électrique + services intégrés’ pourrait devenir une référence pour la logistique industrielle en Europe. Il montre que l’électrification du lourd n’est pas une chimère technique, mais une transformation systémique nécessitant coordination entre constructeur, opérateur logistique et donneurs d’ordre.
Sur nos routes en Occitanie, où les distances régionales et les relais logistiques sont nombreux, un tel modèle pourrait se révéler pragmatique et efficace pour réduire les émissions locales, améliorer la qualité de l’air et fiabiliser les coûts logistiques à long terme.

