Dans les années 1950, alors que l’Europe se relevait des ravages de la guerre, un projet audacieux vit le jour chez Porsche : le 597 « Jagdwagen », un véhicule amphibie qui préfigurait la trame intégrale bien avant le Cayenne. Baptisé « voiture de chasse », ce prototype militaire alliait légèreté, polyvalence et tractions innovantes, mais fut rapidement relégué aux oubliettes après avoir affronté un appel d’offres de la Bundeswehr.

    Les origines du projet : une « Jeep allemande » imaginée par Porsche

    La jeune République fédérale d’Allemagne souhaitait remplacer ses véhicules militaires de l’immédiat après-guerre par un modèle léger, robuste et capable de se hisser sur des terrains accidentés. Porsche, fort de son expertise sur la 356, proposa en 1955 le 597 Jagdwagen : un châssis monocoque « à vasque », une carrosserie étanche pour naviguer en eau calme et une transmission intégrale sélectable. L’objectif était clair : offrir aux forces armées un engin agile, capable de pentes extrêmes et de franchir des gués sans préparation spécifique.

    Caractéristiques techniques du 597 Jagdwagen

    • Motorisation : moteur boxer 1,5 L (puis 1,6 L) refroidi par air, dérivé de la 356, délivrant environ 50 CV.
    • Poids à vide : 970 kg, grâce à l’emploi intensif d’alliages légers et à la conception monocoque.
    • Transmission : 4×4 commutable, premier essai de trame intégrale chez Porsche.
    • Châssis et suspension : monocoque en acier emboutissant, essieux à lames semi-elliptiques.
    • Amphibie : coque étanche permettant la flottaison, hélice de propulsion optionnelle, vitesse en eau de 7 km/h.
    • Capacités tout-terrain : pente franchissable jusqu’à 65 %, gué jusqu’à 60 cm.
    • Performances routières : pointe à 100 km/h, consommation modérée (9 L/100 km) sur route.

    Ce mélange de légèreté, de puissance modeste et de transmission intégrale faisait du 597 un candidat idéal pour des opérations de reconnaissance ou de liaison rapide, où la discrétion, l’endurance et la simplicité mécanique prenaient le pas sur la force brute.

    Fabrication et destinée de 71 exemplaires

    Entre 1955 et 1958, seulement 71 unités du Jagdwagen furent produites : environ 22 réservées aux essais militaires et 49 destinées au marché civil. Pour Porsche, c’était alors un pari coûteux : près de 1,8 million de marks investis dans le développement, une somme conséquente pour une entreprise à vocation essentiellement sportive et artisanale. La Bundeswehr opta finalement pour le DKW Munga, jugé plus économique, et abandonna l’idée d’une Jeep allemande signée Porsche.

    Malgré son échec militaire, plusieurs Jagdwagen furent vendus à des automobilistes civils. On trouve encore aujourd’hui une cinquantaine d’exemplaires survivants, prisés des collectionneurs pour leur rareté et leur légende. Lors d’enchères récentes, un modèle de 1958 s’est envolé à près de 330 000 $US, preuve de l’engouement autour de cette curiosité mécanique.

    Un véhicule en avance sur son temps

    Le 597 fut le tout premier Porsche doté d’une transmission intégrale, bien avant que le Cayenne ne démocratise cette technologie à grande échelle. De plus, son caractère amphibie rappelle les développements d’ingénierie militaire, où chaque kilogramme compte et chaque élément mécanique doit être fiable quel que soit le terrain ou le milieu traversé. Le Jagdwagen, avec sa coque étanche type monocoque « bateau », anticipe les recherches modernes sur les SUV amphibies utilisées dans certains pays nordiques.

    Pourquoi le projet n’a-t-il pas été industrialisé ?

    • Coût de production élevé : l’investissement initial ne permettait pas une production de masse à moindre coût.
    • Positionnement de marque : Porsche préférait se concentrer sur ses coupés et roadsters, garants de sa réputation sportive.
    • Concurrence performante : le DKW Munga offrait un meilleur rapport coût/performances pour un usage militaire.
    • Marché civil limité : la demande pour un off-road civil haut de gamme était embryonnaire en Europe à la fin des années 1950.

    Au final, Porsche choisit de ne pas disperser ses moyens dans la production par milliers d’un véhicule utilitaire, pour repousser son expertise vers la sportivité pure. Une décision qui expliquera plus tard l’essor de modèles emblématiques comme la 911 et l’indépendance de la marque face aux SUV de masse.

    Héritage et collections : le Jagdwagen aujourd’hui

    Si un prototype militaire conçu pour l’export vers la Bundeswehr semble loin de l’image glamour de Porsche, le 597 Jagdwagen incarne une audace technique rare. Les passionnés d’automobile historique en Occitanie et ailleurs redécouvrent ce véhicule à l’occasion de rallyes de collection et de salons dédiés. Son châssis léger, sa transmission intégrale pionnière et sa capacité amphibie en font un objet de fascination, mélangeant l’esprit militaire, l’ingénierie allemande et la passion du constructeur de Stuttgart.

    Chaque exemplaire conservé est un témoin unique d’une époque où l’innovation n’avait pas encore de frontières entre civil et militaire. Dans le garage d’un collectionneur averti, le Jagdwagen continue de naviguer entre terre, boue et eau, rappelant que l’histoire de l’automobile est jalonnée de projets qui, même oubliés, ont tracé la route du possible.