À la fin des années 1950, alors que l’ère atomique suscitait un enthousiasme planétaire, Ford imagine la Nucleon : un concept-car propulsé non pas par de l’essence, mais par un petit réacteur nucléaire embarqué. Présenté en 1958 sous la forme d’une maquette à l’échelle, ce projet visionnaire promettait une autonomie inédite de 8 000 km pour un « plein » d’uranium. Si l’idée releva de l’utopie plus que de la réalité, elle illustre à merveille l’audace technologique de l’époque et la fascination pour l’énergie atomique.

    Un réacteur miniature à la place du réservoir

    Le principe de la Nucleon repose sur un réacteur nucléaire situé juste derrière l’habitacle, remplaçant totalement le moteur à combustion interne et le réservoir de carburant traditionnel. Les ingénieurs Ford prévoyaient d’utiliser la fission de l’uranium pour chauffer de l’eau, générant ainsi de la vapeur capable d’entraîner un groupe propulseur à vapeur.

    • Production de vapeur : l’uranium, inséré dans le cœur du réacteur, chauffe un circuit d’eau fermé, similaire à celui des centrales nucléaires.
    • Transmission de la puissance : la vapeur actionne un ou plusieurs pistons ou turbines réduits au format automobile, puis l’énergie est transmise aux roues via un embrayage et une boîte de vitesses.
    • Refroidissement : un petit condenseur intégré permettait de recycler la vapeur en eau, limitant les besoins en eau de refroidissement externe.

    Une autonomie record et des « pit stops atomiques »

    Avec 8 000 km annoncés pour une recharge d’uranium, la Ford Nucleon visait à réduire drastiquement la peur de la panne sèche. Les stations-service traditionnelles étaient remplacées par des « pit stops atomiques », où on ne ferait plus le plein d’essence, mais on interchangerait un bloc réacteur usagé contre un bloc neuf.

    • Deux versions proposées : « Économe » pour un usage quotidien et « Haute performance » pour qui recherchait une réponse immédiate et plus de puissance.
    • Opération de remplacement simple : calquée sur le principe du filtre à huile, le réacteur se glissait en quelques minutes dans un compartiment sécurisé.
    • Économie de temps : finies les longues minutes à attendre la distribution de carburant, la Nucleon voulait promettre une efficacité comparable à un changement d’huile.

    Les défis oubliés : gestion des déchets et sûreté

    Si le concept de la Nucleon semblait séduisant, Ford a volontairement éludé deux questions cruciales :

    • Le traitement des déchets radioactifs : aucune solution n’était proposée pour stocker ou neutraliser les résidus d’uranium irradié issus de la fission.
    • La protection des passagers : les calculs de blindage pour limiter les radiations n’ont jamais été détaillés, posant de lourds doutes sur la sécurité à bord en cas d’accident.

    Ces zones d’ombre expliquent sans doute pourquoi le projet n’a jamais dépassé le stade de la maquette. Le risque radioactif latent aurait nécessité des investissements et des normes de sûreté inacceptables pour un usage civil.

    Un concept-car dans la culture populaire

    Conservée aujourd’hui au Musée Henry Ford de Dearborn, la maquette de la Nucleon a marqué les esprits. Son esthétique futuriste, avec une coque fuselée et un arrière effilé, a influencé plusieurs univers de science-fiction. Parmi les références les plus marquantes, on retrouve :

    • La série de jeux vidéo Fallout, où les « voitures atomiques » reprennent le concept de la Nucleon et explosent en gerbes radioactives lorsqu’on les endommage.
    • Les animations rétro-futuristes des années 1960, qui imaginaient un monde où l’énergie nucléaire résoudrait tous les problèmes de mobilité.

    L’héritage technologique et les parallèles modernes

    Si la Ford Nucleon n’a jamais vu le jour, ses idées ont anticipé les réflexions actuelles sur l’énergie embarquée :

    • Les stations de recharge rapide pour véhicules électriques, qui cherchent aujourd’hui à réduire le temps de recharge à quelques minutes.
    • Les projets de piles à combustible et de batteries modulaires, rappelant la notion de « bloc échangeable » inaugurée par la Nucleon.
    • Les réflexions sur l’énergie compacte et puissante pour les véhicules autonomes longue autonomie, même si elles s’orientent vers l’hydrogène ou l’électrique.

    En Occitanie, comme ailleurs, la transition énergétique automobile se poursuit avec des solutions plus pragmatiques et sécurisées. Mais nul doute que le défi de l’autonomie et de la rapidité de « rechargement » puise encore son inspiration dans les audaces du passé.