Un prototype visionnaire né en 1937

    Alors que la Commission européenne planche aujourd’hui sur de nouvelles normes pour les véhicules en fin de vie, Henry Ford avait déjà anticipé, dès 1937, l’enjeu des matériaux renouvelables. Son célèbre prototype surnommé « Hemp Body Car » inaugurait l’idée d’une carrosserie organique, fabriquée à partir de plastique de chanvre et de soja. L’objectif ? Proposer une alternative légère, résistante et surtout durable, en osant sortir du métal traditionnel.

    La structure et les matériaux innovants

    Le châssis de la Hemp Body Car repose sur un cadre tubulaire en acier, supportant quatorze panneaux d’une épaisseur d’environ 6 mm. Ces panneaux sont réalisés à partir d’un polymère obtenu par traitement des graines de chanvre et de soja. Le résultat : un poids à vide évalué entre 907 et 1 361 kg, soit un gain significatif par rapport aux carrosseries métalliques de l’époque.

    • Ligèreté : le polymère organique offre une densité plus faible que l’acier, contribuant à une meilleure efficience énergétique.
    • Élasticité et sécurité : Ford démontrait la robustesse du matériau en frappant le panneau arrière avec une masse, sans provoquer la moindre déformation permanente.
    • Compatibilité bio : l’utilisation de chanvre et de soja assure un approvisionnement renouvelable, limitant la dépendance aux minerais et aux forêts.

    En outre, le prototype était propulsé à l’éthanol extrait… de la même plante ! Ford imaginait un circuit vertueux où la biomasse servirait à la fois à la construction et au carburant.

    Le baptême public en 1941

    Présentée pour la première fois en 1941 lors du Dearborn Days Festival, puis au Michigan State Fair Grounds, la Hemp Body Car suscita un immense engouement. L’athlétique silhouette de cette voiture « organique » étonnait par son philosophe mariage entre nature et technologie. Cette mise en lumière fut orchestrée par Ford lui-même, soucieux de prouver que l’industrie automobile pouvait s’émanciper des ressources fossiles.

    La guerre et l’oubli forcé

    La Seconde Guerre mondiale mit un brutal frein à cette expérimentation. La mobilisation des usines pour l’effort de guerre réduisit drastiquement la production de véhicules civils. Après le conflit, le décès d’Henry Ford en 1947 et l’interdiction de culture du chanvre aux États-Unis en 1955 scellèrent l’abandon du projet.

    • Ressources concentrées sur l’acier et l’aluminium militaires.
    • Disparition des filières de chanvre autorisées pour usage automobile.
    • Mémoire historique effacée par la priorité donnée à la reconstruction globale.

    Le prototype bascula alors dans l’ombre, au point que le grand public n’en conserve aujourd’hui qu’un souvenir lointain.

    Des racines pour l’automobile durable d’aujourd’hui

    Plus de quatre-vingts ans après, l’idée de Ford résonne à nouveau. Dans le cadre de la révision des directives sur les véhicules hors d’usage, l’Union européenne encourage l’économie circulaire et l’usage de matériaux recyclés ou biosourcés. L’ACEA (Association des constructeurs européens) insiste pour que ces nouveaux plastiques répondent à des critères stricts de performance, de sécurité et de compatibilité environnementale.

    • Recyclabilité : favoriser les polymères certifiés, capables d’être réintégrés dans une même filière.
    • Performance technique : garantir la même résistance aux chocs et la tenue à la chaleur qu’avec les matériaux traditionnels.
    • Compatibilité logistique : prévoir l’adaptation des chaînes de production pour assurer une transition rapide et maîtrisée.

    L’expérience de Ford démontre que, pour réussir cette mutation, il faut allier vision et pragmatisme : seuls des prototypes testés et éprouvés peuvent convaincre le marché et les pouvoirs publics.

    Leçons techniques pour les ingénieurs et designers

    Le Hemp Body Car offre plusieurs enseignements techniques toujours d’actualité :

    • Conception modulaire : les panneaux amovibles facilitent l’accès aux organes mécaniques et limitent les coûts de réparation.
    • Optimisation du poids : jouer sur l’épaisseur et la densité des composites pour atteindre le compromis idéal entre rigidité et facilité de mise en forme.
    • Mélange de fibres : combiner chanvre et soja pour ajuster les propriétés mécaniques selon les zones de la carrosserie (capot, portières, panneaux latéraux).
    • Essais grandeur nature : valider la durabilité par des chocs contrôlés et des tests d’endurance en milieu réel (chaleur, UV, humidité).

    Perspectives d’une industrie en mutation

    À l’heure où les constructeurs multiplient les annonces de véhicules électriques et hybrides, l’approche « biomasse » de Ford rappelle que l’automobile futuriste se construit aussi autour de la matière. Le défi consiste désormais à concilier :

    • Innovation :** tester de nouveaux matériaux biosourcés (lin, chanvre, canne à sucre).
    • Sécurité :** respecter les normes de crash test et d’inflammabilité.
    • Économie circulaire :** mettre en place des filières de collecte et de régénération des composites.

    Le fil rouge entre hier et aujourd’hui montre qu’une première révolution « verte » a déjà eu lieu, et que la suivante n’est qu’une question de volonté industrielle et réglementaire.